Glass House

Lucas Fagin / Boris Labbé

Glass House est à l’origine un projet de film élaboré par le réalisateur russe Sergueï Eisenstein entre 1926 et 1930, mais le projet jugé irréalisable ne verra jamais le jour. En effet, Glass House aurait dû être tourné dans un gratte-ciel de verre, entièrement transparent ; la projection du film aurait dû être réalisée sur un « écran monstre » capable de faire entrer, à l’échelle originale, l’architecture en question, ses cadres gigantesques, horizontaux et verticaux. La conclusion à laquelle parvient Eisenstein sera double : si l’architecture de verre est profondément cinématique et possède un potentiel extraordinaire en termes de montage, l’utopie sociale qu’on lui associe sera destinée à se transformer en une dystopie aux effets catastrophiques.

Par le projet Glass House, Lucas Fagin et Boris Labbé se pensent en héritiers de l’Op Art. Si leurs références visuelles se développent autour des figures de Victor Vasarely ou Julio Le Parc, les recherches sonores de Ligeti, des Pink Floyd ou de KraftWerk infusent la conception musicale et scénographique de ce projet. Glass House est un spectacle vidéo-sonique, une expérience immersive disruptive. C’est la Tour de Babel de verre, ce prisme géant habité par la fourmilière humaine. C’est la diffraction lumineuse, c’est un kaléidoscope à la beauté hypnotique, ce sont des jeux de lumière et de couleurs saturées qui se conjuguent dans un effet de sidération. C’est une sensation, mêlée d’attraction et de répulsion, empruntée aux romans de science-fiction.

Glass House s’inspire des récits d’anticipation du XXème siècle, du projet irréalisable de Sergeï Eisenstein, des nouvelles réalités de nos sociétés contemporaines : la multiplication des réseaux de communication, la transparence et les échanges des données, la société de contrôle et de surveillance, les utopies urbaines, l’hyper-connectivité, les aliénations. Ici les utopies du début du

XXème siècle se sont transformées en dystopies. En filigrane de Glass House se sont aussi les figures de Georges Orwell (1984, La ferme des animaux) et de Byung-Chul Han (La Société de transparence) qui transparaissent. Toutefois Glass House n’est pas un projet « engagé » au sens premier du terme, il ne prend pas parti politiquement, il ne délivre pas de message ni de moral. Glass House est un objet vidéosonique non identifié, à la fois installation, à la fois concert-vidéo ; une scénographie psychédélique où les jeux de reflets, les structures architecturales, les mises en abîme, témoigneront d’un monde en perpétuel mouvement. Le projet n’est donc pas une reprise trait pour trait du projet d’Eisenstein (bien qu’il en retient le titre), mais plutôt le prolongement de son intuition de cinéaste.

Le projet Glass House est également un film autonome qui a reçu de nombreux prix dont le Prix Off-Limits du Festival international du film d’animation d'Annecy, le XPPen Craft Award for Best Animation Technique (Ottawa International Animation Festival, Canada) et le Grand Prix for Feature Film (New Chitose Airport International Animation Festival, Japan).

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